top of page

CLAUDE IVERNÉ

DES ARBRES

26.11.2022 · 18.02.2023

<p class="font_7">LA GALERIE ERIC DUPONT EST HEUREUSE DE PRÉSENTER L'EXPOSITION PERSONNELLE DE CLAUDE IVERNÉ</p>

<p class="font_7">LA GALERIE ERIC DUPONT EST HEUREUSE DE PRÉSENTER L'EXPOSITION PERSONNELLE DE CLAUDE IVERNÉ</p>

Des Arbres est une alerte sous forme d’hommage à ce qui est à perdre parmi ce que nous avons de plus précieux, là, juste devant nos yeux. Une galerie de portraits pris au très grand format. Une enquête poétique pour nous interroger sur le devenir de nos arbres, de nos paysages, sur ce qui se joue à bas bruit en forêts comme en plaines et ici même, chez nous comme ailleurs. Un document silencieux, une ode et invitation à la lenteur, au murissement qu’incarne la figure de l’arbre face à l’accélération. Une invitation à ressentir la fragilité sous l’écorce.

Penser comme un arbre. A l’instar de la montagne, l’arbre demeure un monument de notre environnement naturel comme psychique. C’est en observant son architecture qu’on peut traduire le schéma vital de l’arbre.*1 Sa forme raconte son histoire. Depuis mon enfance j’aime leur présence. Je conserve précieusement ma première ébauche d’arbre, dessinée en hiver 1981 pendant un cours d’histoire-géo. Rien ici d’exceptionnel. L’arbre suscite historiquement chez les humains une admiration. Vénéré, célébré, on lui prête volontiers des pouvoirs. Je leur parle mentalement, comme je parle aux animaux, et aux pierres, en silence, de présence à présence.

C’est au Soudan il y a vingt ans, que j’ai ralenti et réalisé mes premières photographies d’arbres. Puis d’autres au Cambodge, au Sénégal, en Afrique du Sud et un peu partout, sans arrière-pensée ni projet, sans les chercher.

Le Baobab du Kordofan, celui qui semble planté à l’envers sur la steppe, racines vers le ciel, enracina pour de bon l’effet du rapport au temps, qui m’avait tant séduit au Soudan. La lenteur demeure une vertu première de mon espace mental, physique, psychique, vital. Un Remède à l’accélération ambiante*3. De quoi la vitesse peut-elle être le gage ? Je me surprends encore parfois à marcher vite sans raison.

Un premier corpus modeste et informel d’images s’est ainsi constitué lentement presque à mon insu. Une sorte de protocole précis et souple à la fois s’en est dégagé, qui m’a projeté plus loin. La rencontre de passionnés a aiguisé mon œil et m’a incité à franchir le seuil. Je me suis équipé d’un matériel de très grand format, pour accéder à des niveaux de détails propres à restituer les impressions de matières, à accéder au modelé photographique caractéristique aux tirages anciens et envisager des restitutions à la mesure du propos.

Tout arbre mérite un portrait. Sans exclure les arbres dits remarquables, je collecte des portraits d’arbres à la fois communs et singuliers, dont je peinerais à définir les critères. Ils ne sont pas systématiquement immenses, magnifiques, âgés ou forts. Ils s’écartent souvent du cliché encyclopédique. Chacun dans son port conte une épopée individuelle, collective et dans le paysage et trahit bien des stigmates de l’anthropocène. J’affectionne ainsi les Trognes autrement nommées Arbres Têtards, qui les couronnent de notre irrépressible emprise sur la nature.

Ainsi s’élabore un ensemble, une collection de silhouettes ponctuée de rares paysages, de détails et feuilles qui, bien que nourrie, documentée et amendée par des experts, se déploie telle une ode, un hommage plus qu’une publication scientifique.

Un hommage au temps long, à la patience, au murissement depuis lequel nous contemplent silencieusement ces êtres d’apparence paisible. Ils n’ont que faire de nos politiques et projets. Nous passons, ils demeurent, à moins d’être emportés sous l’action de notre empressement. Un hommage donc, mais que je veux dynamique, une invitation à penser. Car derrière ce rideau tranquille, sous l’écorce, se trament d’autres enjeux.

L’arbre que j’abats reste calme. A mesure de mes recherches, mes complices me révèlent le péril en cours. Les dérèglements accélèrent. Les stress hydriques se multiplient et à fréquences de plus en plus courtes. D’innombrables arbres meurent solitaires ou par légions.

Celui que nous voyons va disparaitre. Ses congénères comme les miens ont eu beau alerter déjà depuis des décennies sur leur sursis respectifs. Les signaux sont là, pour qui veut les voir, et au-delà, en milieu rural come urbain et jusqu’au cœur de Paris. Le réchauffement, notre économie, nos politiques et leurs réactions combinées en chaine, trop rapides à leur échèle, ne leur laissent qu’une infime chance d’adaptation, donc de survie. Les ingénieurs planifient déjà leurs remplacements, qui bien que tardifs tendront à limiter la déforestation de nos territoires. D’autres espèces ou cousins de même famille, plus résistants et rompus plus au sud depuis des millénaires à des conditions de vie proches de celles à venir chez nous, prendront le relais. Les espèces du bassin méditerranéen redessineront les paysages de nos enfants, du Limousin comme du Morvan. Le chêne pubescent, plus résistant que ses cousins le sessile et le pédonculé, deviendra commun.

Les paysages comptent leurs sages. Leurs changements nous sont déjà visibles, qui rattrapent les alertes les plus précoces. Bien des interactions que nous ne maitrisons plus agissent désormais ici et maintenant. L’arbre est victime malgré lui d’une transformation brutale et radicale de ses environnements. Le symbole même de sagesse, du temps long, du murissement subit l’assaut en première ligne.

La réalité est, elle ne s’augmente pas. A la représenter on la milite, au mieux l’imite. L’arbre est une chose, Son image en est une autre. Tout ce qu’il contient, véhicule et partage lui sont totalement étrangers. L’arbre n’explique pas. Il donne à penser sans y penser lui-même. A l’instar des pyramides, du haut de leurs cimes des siècles nous contemplent. Se laisser donc contempler par le portrait d’un arbre à défaut de l’original. Se laisser apaiser par son calme malgré la tempête. S’en laisser contempler comme un privilège, mais à dessein, pour éprouver l’extrême fragilité ce qui est à perdre et agir. Car la douleur du manque survient toujours trop tard.

Allier la forme et le fond. C’est cette fragilité silencieuse, que je tente de traduire. La rendre apparente en filigranes de l’image leurre d’indestructibilité que l’arbre véhicule ; la restituer par des tirages d’aspects fragiles. Pour aborder cette notion de géant aux pieds d’argile, je propose de permettre au public de toucher les tirages. Malgré leur très faible poids (20 à 40g / m2) ces papiers essentiellement asiatiques choisis pour leur caractère, s’avèrent suffisamment résistants pour s’y prêter.

Des papiers. Les papiers, extrêmement légers aux fibres apparentes à texture très marquée amplifie le modelé́ des photographies. Elle augmente l’impression de matière. L’arbre représenté́ semble se confondre avec lui. Outre leurs particularités plastiques et mécaniques, j’ai choisi ces papiers également pour leur lien avec la lenteur et la main qui les pense et façonne. Ces papiers ne sont pas manufacturés en usines, mais à la main par des artisans. Chaque feuille est le fruit de la pensée mise en œuvre d’une femme ou d’un homme particulier. Son élaboration et fabrication réfère au temps long, au lien que ces artisans entretiennent avec l’arbre, tant par une gestion raisonnée que leur application à les façonner. J’emploie ces mêmes papiers pour dessiner à l’encre, qui correspond à leur usage traditionnel

Charbon. Je produis d’ordinaire moi-même des épreuves argentiques de facture classique, selon un protocole artisanal élaboré et affiné depuis de nombreuses années, en vue d’obtenir des gammes de gris très étendues. Ici les tirages sont au charbon, réalisés en Piezographie avec Christophe Batifoulier, pour demeurer sur la même ligne d’exigence. Outre ses qualités esthétiques propre à prolonger mes quêtes de gris infinis, et ses propriétés de conservation ; le charbon, deuxième source d’énergie mondiale après le pétrole, renvoie aux origines. Sans provenir exclusivement du bois, elles sont organiques et lointaines. L’Anthracite a donné son nom à sa couleur, d’un gris particulier, aussi chaud et profond que celui produit par les incendies de forêts.

Monumental. Une taille qui force le respect à l’original. Bien que la taille du tirage du peuplier Grisard demeure pour le moment bien inferieure à celle réelle de l’arbre, elle doit dépasser nettement celle d’un humain. Un tirage monumental en plusieurs lais, de presque quatre mètres de haut, est suspendu. Nous levons la tête et le regard. L’original photographique mesure 20x25cm. Cette taille de négatif confère au tirage une qualité de détail et de modelé qui ne craint pas l’agrandissement monumental. Il s’agit toujours, cette fois à la même échelle mentale mais dans d’autres proportions, d’Arrêter le regard et interroger. *3

Anonymes
On ne sait rien de ce que l’on voit, Comme toutes les restitutions, expositions comme livres, j’aime laisser le public Errer, chercher, demander (se demander). Contrairement aux jardins botaniques, les légendes ne viennent pas influencer la lecture des images et leur espace de représentation. L’imaginaire est mis au travail.


bottom of page